La vérité est souvent implicitement conçue comme au cœur de nos investigations juridiques. Alors que les règles de base guidant l’admissibilité de la preuve sont présentées comme ayant pour objectif la recherche de la vérité, les procès, eux-mêmes, sont perçus comme ayant pour objectif la recherche de la vérité, ou du moins des faits réels. Cette intuition, à savoir que la recherche de la vérité est essentielle au maintien de la légitimité de nos systèmes d’arbitrage, est tout-à-fait compréhensible. Lors d’un procès, un juge doit déterminer ce qui s’est passé dans la vie réelle des individus, et on s’attend à ce qu’un juge administre la justice de manière équitable et impartiale, et que sa décision soit prise en fonction des faits. Or, l’équité du système judiciaire repose sur la cohérence entre les faits, le droit et le verdict. Toutefois, la justice et l’équité que l’on s’attend d’un juge ne correspond pas à un idéal de justice abstraite, mais bien à une justice positive, telle qu’elle est définie par la loi et la jurisprudence. En conséquence, la question n’est pas tant de savoir quels sont les « faits réels » sur lesquels doivent reposer la décision d’un juge, mais bien quels sont les faits admissibles. Déjà, ce constat fait en sorte que l’on doit réduire ses attentes face à l’idéal de la quête de la vérité en droit.
En réfléchissant sur les règles qui gouvernent l’amissibilité de la preuve par ouï-dire et par témoins experts en droit de la preuve, ainsi qu’en portant notre attention sur la méthodologie en droit, on constate que ce n’est pas tant la vérité qui est au cœur de nos investigations juridiques, mais bien la quête de l’adéquation empirique de nos croyances, où l’on veut s’assurer qu’on est justifié de croire en ce qui est avancé. Ainsi, même s’il y a toujours un doute qui plane, la question est de savoir si nous sommes néanmoins justifiés d’y croire.
Depuis la publication de cet ouvrage, en 1996, j’ai écrit un bon nombre de textes abordant des thèmes reliés à la sociologie du droit et de l’éthique. Il est apparu pertinent d’en choisir un certain nombre et de préparer une nouvelle édition. Les nouvelles « études », tout comme les précédentes, proviennent de recherches empiriques et de réflexions théoriques menées depuis une trentaine d’années au Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal.
L’autonomie du droit est relative. Il s’inscrit en effet dans la vie concrète d’institutions variées et il est, pour cette raison, traversé par les valeurs, les idéologies et les rapports de pouvoir qui prévalent dans une société. C’est dans l’analyse de ces interactions entre le droit et le milieu social, économique, politique et culturel que la sociologie du droit trouve sa raison d’être.
Le droit positif est par ailleurs en constante liaison avec d’autres ordres normatifs, celui des administrations, des sciences, des religions, etc. Force est alors de constater, dans ce contexte, la convergence entre l’emprise croissante du droit sur les relations sociales et la prolifération de la réflexion éthique sur l’inquiétude humaine dans les sociétés contemporaines.